Confie à Dieu ta route… Cet été, sur la route des vacances, je me suis surprise à fredonner le cantique Confie à Dieu ta route… un cantique que nous chantons souvent – comme bien d’autres Eglises – à la fin du culte, juste avant de passer le seuil du temple, juste avant que chacun.e reprenne la route de sa vie après le culte. Confie à Dieu ta route… un cantique qui exprime une confiance profonde en Dieu, et cela dans et malgré tous les doutes et toutes les adversités qui se présentent justement sur les routes de la vie. J’aimerais pour cette rentrée explorer et méditer ce cantique avec vous. D’abord je vous présente celui qui a composé ce cantique. L’auteur s’appelle Paul Gerhardt, il a vécu de 1607 jusqu’à 1676 dans l’Est de l’Allemagne, à plusieurs endroits, dans la région au sud de Berlin. Il était théologien luthérien, pasteur et poète, et compte parmi les auteurs principaux de chants religieux en langue allemande. Il a composé environ 130 cantiques ! Nous avons hérité de quelques-uns de ces chants dans nos traditions musicales protestantes françaises. Paul Gerhardt a fait ses études de théologie à l'université de Wittenberg, haut-lieu de la théologie luthérienne. (c'est à Wittenberg que Luther lança les fameuses 95 thèses le 31 octobre 1517, déclenchant la Réforme protestante). Diplômé vers 1642, il n’a pas tout de suite trouvé un poste de pasteur, mais s’est maintenu en tant que professeur ‘privé’, embauché dans quelques familles aisées. C’est seulement à l’âge de 46 ans qu’il obtient un poste à Mittenwalde, une petite ville au sud de Berlin où il crée un important corpus d'hymnes. Ses compositions et les paroles de ses cantiques sont profondément ancrés dans les différents contextes de sa vie, contextes difficiles et douloureux. D’abord, sur le plan politique : la guerre des trente ans avec son cortège de morts dues à la guerre et aux épidémies, notamment la peste. Puis, sur un plan personnel, la famille du compositeur a été confronté tôt aux deuils : à 12 ans, Paul Gerhardt a perdu son père, à 14 ans sa mère. Puis, des 5 enfants qu’il a eus avec sa femme Anna Maria, un seul a survécu. Sa vie professionnelle a aussi été marquée par des difficultés et des échecs, et il a vécu ce qu’on désignerait aujourd’hui comme ‘harcèlement au travail’. Malgré ces contextes de vie difficiles, les thèmes de la confiance et de l’espérance imprègnent les paroles de ses chants. Peut -être justement parce qu’il ne les a pas créés dans une ‘bulle’ loin du monde, mais pour résister aux difficultés de sa vie et son époque. Il chante souvent la création comme œuvre de Dieu qui sollicite l’émerveillement et la louange. La nature est pour Gerhardt la source d’une confiance première que Dieu tient le monde dans sa main… et ce, malgré les tourments de chaque époque. Les paroles de ses cantiques ont par la suite inspiré des poètes, des musiciens et compositeurs comme JS Bach, des théologiens comme Bonhoeffer, dans d’autres contextes compliqués. Aussi, ses cantiques ont rapidement été traduits, d’abord dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe : Danemark, Pologne, L’Estonie. Les premières traductions en français étaient destinées à la chorale de l’Église huguenote à Berlin, en 1722, Eglise qui a vu l’affluence de réfugiés protestants suite à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685. Avec d’autres mouvements de migration, ses cantiques ont franchi l’océan pour résonner aussi aux Etats-Unis. Un de ces cantiques qui ont voyagé à travers le monde, est justement le cantique ‘Confie à Dieu ta route’. Les circonstances concrètes de sa composition sont inconnues, bien qu’il y ait quelques légendes, pour ‘habiller’ son origine. Il a certainement été composé vers 1650, alors que Paul Gerhardt n’est pas encore pasteur, mais travaille comme professeur particulier dans la famille de celle qui va devenir sa femme, Anna Maria. La mélodie a été composée par Léo Hassler, musicien et organiste et ensuite intégrée par JS Bach dans sa Passion selon Matthieu. A l’origine, ce cantique avait 12 strophes. Notre version française a été rédigée par un autre pasteur, Charles Dombre, pour le recueil "Louange et Prière" que les plus anciens connaissent. Il a été composé en 1935, temps troublés aussi ! Charles Dombre n'a pas traduit l’intégralité du chant de Gerhardt. Il en a repris certaines parties, pour développer notamment le thème de la confiance. Comme je l’ai dit en début du culte, il y a un beau mouvement dans ces strophes. Les 3 premières strophes sont comme un dialogue intérieur : D’abord le regard se tourne vers le ciel, les astres et les vents. Puis vers les chemins sur terre, chemins imposés, non choisis, où il s’agit de faire le choix de la confiance. Et dans la 4ème strophe, le regard se dirige vers Dieu pour lui demander de bénir nos routes, qu’elles soient ‘chemins riants ou sombres’. Je vous invite à suivre ce mouvement et regarder de plus près les paroles du cantique. Chantons la strophe 1 : Le regard s’ouvre vers l’immensité du ciel – les routes des astres et des vents. J’imagine un ciel de nuit où les étoiles brillent : le firmament étoilé a depuis toujours fasciné l’humain…qui peut se sentir alors tout petit, comme une ‘crotte de mouche dans l’univers’ face à l’immensité de la voûte céleste. « Quand je contemple les cieux, la lune et les étoiles,que tu as créées, je me demande : qu’est-ce que l’humain pour que tu te souviennes de lui ? » (psaume 8) Sous l’immensité du ciel, même l’esprit le plus cartésien s’émerveille et se questionne sur la vie, je pense. Ce n’est certainement pas un hasard que l’astronomie soit une des sciences les plus anciennes de l’humain.. pensez seulement à ceux qu’on appelle les "rois mages", savants venus de l’Orient pour suivre la nouvelle étoile… Pour Paul Gerhardt, la contemplation du ciel fait émerger une confiance profonde : les astres et les vents suivent leurs routes invisibles. Les étoiles illuminent le ciel…ils continuent à briller et à tracer leurs routes, alors que sévissent sur la terre des guerres et des catastrophes. Ce mouvement d’éternité apporte au poète et théologien éprouvé la confiance que le Dieu créateur garde aussi la ‘route de ses enfants’ et les guide telle une boussole pour trouver leur chemin dans la vie. Fort de cette confiance, le cantique continue : ‘tout chemin qu’on t’impose peut devenir le sien’. Y résonne l’expérience personnelle de l’auteur que la vie nous mène aussi sur des chemins ‘imposés’, c'est-à-dire non choisis. Expérience partagée par beaucoup parmi nous face à des tournures que notre vie peut prendre. C’est presque banal de le dire ainsi ; ce qui n’est pas banal, c’est la confiance que tout chemin peut devenir un chemin où Dieu se manifeste et nous offre ses ‘bienfaits’. Gerhardt cite notamment la ‘lumière’ (il vient tout est lumière) et la ‘parole’ (il dit tout est bienfait). Sa lumière et sa parole peuvent se manifester de multiples manières dans chaque vie et se vivent dans l’intimité du coeur où Dieu nous rejoint, parfois même de manière indicible. Chantons la strophe 3 : Consentir à remettre à Dieu le poids de son souci. Cette formulation est intéressante, je trouve. Consentir… comme s’il y avait une réticence à surmonter… peut-être parce que nous voulons bien surmonter nos difficultés ‘comme des grands’ qui maîtrisent leur fragilité. Il faut donc du ‘consentement’, une libre volonté de lâcher le poids. « Mettez tous vos soucis dans la main de Dieu, parce qu'il prend soin de vous » dit un verset biblique. Une invitation à poser toutes mes inquiétudes, même les plus secrètes, devant Dieu. Le seul risque que je prends c’est finalement de ne plus les retrouver. Paul Gerhardt illustre cela par l’expérience des insomnies. C'est une phrase que j’aime bien : captif pendant tes veilles de vingt soins superflus, bientôt tu t’émerveilles de voir qu’ils ne sont plus. Ah, les insomnies… ces moments de la nuit où l'on se tourne et se retourne dans le lit, et le vélo dans la tête fait parfois un vrai tour de France de nos inquiétudes et préoccupations. Même si les pensées qui nous hantent pendant les insomnies sont particulièrement infructueuses ! On se réveille le matin (si on a retrouvé le sommeil) et souvent l’aube emporte avec elle les tracas des nuits ou les présente au moins sous un autre jour. Heureux celui ou celle qui sait remettre son souci à Dieu, qui écoute cette parole de Jésus, devenu même un adage sécularisé : ‘Ne vous inquiétez donc pas du lendemain, car le lendemain aura soin de lui-même ; A chaque jour suffit sa peine’. Un verset avec lequel on peut vivre et grandir chaque jour. Allons maintenant vers la dernière strophe : Et voilà qu’après un tour dans sa vie intérieure, son vécu intime de ce qui pèse, l’auteur du chant se trouve libéré du poids et peut tourner son regard vers l’avenir. Bénis nos routes, nous les suivrons (futur) heureux. Ressourcé, il reprend son bâton de pèlerin pour dire ‘Tu nous écoutes, ô Dieu, tu veux notre bonheur. Un bonheur qui prend sa source dans la confiance que tout chemin – riant ou sombre – mène à Dieu. Ou, comme le dirait l’apôtre Paul : nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Nous voilà à la fin du cantique, mais toujours au début de la nouvelle année… ce qu’elle apportera on ne le sait pas encore, si les chemins seront riants ou sombres, on ne le sait pas encore et on ne pourra pas le savoir à l’avance. Il y a tellement de choses et évolutions qui nous échappent. Ce qui nous appartient, par contre, c’est de faire le choix de la confiance ‘maintenant et ici’. De consentir à remettre le poids de nos soucis à Dieu. De nourrir tout au long de cette année notre vie spirituelle, notre foi, ensemble et chacun.e pour soi. Pour moi, personnellement, c’est un beau ‘projet’ pour cette année : faire le choix de la confiance, confier à Dieu ma route, nos routes, routes de l’Eglise. Amen Iris REUTER, Culte de rentrée, 18/09/2022, paroisse de la Fraternité - Nîmes