Accompagner avec deux « c »
Le décret sur l’aumônerie aux armées précise que le rôle principal de l’aumônier consiste dans l’accompagnement spirituel et moral des militaires.
L’accompagnement : un ami me faisait remarquer il y a quelques temps que dans le mot «accompagnement » il y a deux c.
A-cc-ompagnement : comme pour indiquer qu’un accompagnement véritable et profond, accompagnement sans lequel un retour à la paix ne saurait être possible vraiment, se fait non pas tant face à face que côte à côte !
Pour accompagner, il faut accepter d’être à côté de la personne que l’on entend ainsi accompagner. Non pas derrière elle, ni devant elle, ni en dessous ni au-dessus mais à côté… Côte à côte !
Matthew Henry, un célèbre commentateur , dit au sujet de la création d’Eve (Genèse 2.21) : « La femme fut formée à partir d’une côte d’Adam ; pas de sa tête pour le dominer, ni de ses pieds pour être écrasé par lui, mais de son côté pour être son égale, sous son bras pour être protégée, et proche de son cœur pour être aimée. »
Ainsi en est-il de l’accompagnement pastoral, qu’il soit d’ordre spirituel ou moral : les deux sont en réalité étroitement liés. Il ne s’agit ni d’écraser la personne que l’on accompagne, du haut d’une prétendue supériorité.Il ne s’agit pas d’exercer une autorité tyrannique et froide, sur la personne que l’on prétend aider. Il ne s’agit pas non plus de se placer en dessous, sous le couvert d’une fausse humilité – comme si nous n’avions rien à lui apprendre, rien à lui apporter, comme si la solution ne pouvait se trouver qu’en elle-même sans que nous n’ayons rien à dire, mais il s’agit bien de marcher avec elle, à côté d’elle, de partager un bout de chemin, de vivre une expérience commune dans une espèce d’empathie, cette empathie qui fait si cruellement défaut dans nos sociétés modernes, chosifiées, mécanisées…
L’empathie qui seule permet de dépasser le sentiment d’indifférence, d’insignifiance dont souffrent tant de nos contemporains ! Autant dire qu’il s’agit ici d’un accompagnement d’amour !
(…) .Je me dis parfois qu’il nous faut essayer – même si nous n’y arrivons jamais vraiment parfaitement- d’être de ceux qui au sein de la société qui est la nôtre, et sur nos différents lieux de ministère, s’efforcent de mettre du sens au quotidien, d’apporter un supplément d’âme, un supplément d’humanité au quotidien des personnes auprès desquels nous sommes placés : les militaires, les prisonniers, les malades, les personnes âgées.
L’accompagnement est le cœur du ministère de l’aumônier, c’est une invitation à donner sens et vie à la condition humaine, et plus précisément à celle des personnes auprès desquelles nous sommes envoyés…En particulier quand vient l’heure du doute, de la souffrance, de la mort.
Dans un passage de l’Evangile selon Luc , des militaires demandent à Jean-Baptiste : « Et nous, que nous faut-il faire ? Il leur dit : Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde. » (Luc 3.14)
Ce passage biblique est très important pour nous-autres aumôniers militaires, parce qu’il est l’un des rares à nous parler du métier de soldat. En quelques mots simples et précis, il nous livre les principes de bases sur lesquels doit reposer le métier de soldat, dans la perspective chrétienne, et ce, afin que ce métier de soldat soit exercé de la façon la plus juste possible, d’une façon qui soit conforme à ce qui est droit, à ce qui est juste, et donc d’une façon que Dieu agréée, d’une façon qui soit conforme à ses exigences de justice et d’amour.
(..) A la question des soldats « Que nous faut-il faire ? » – sous-entendu pour nous conformer aux exigences du Royaume qui vient -, Jean-Baptiste, contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de penser (dans une perspective antimilitariste par exemple), ne leur demande pas de renoncer à leur métier de soldat. Il ne leur demande pas de changer de métier en vertu de l’imminence du Royaume que le prophète Esaïe avait annoncé en disant : « De leurs épées ils forgeront des socs et de leurs lances des serpes…» (Esaïe 2,4) !
Pourquoi cela ? Et bien parce que nous sommes encore, même après la venue de Jésus, et jusqu’à son retour glorieux, dans le temps de la patience de Dieu, ce temps où l’ivraie pousse au milieu du bon grain, où le péché est une réalité et où le mal exerce son influence partout dans le monde et jusque dans nos propres vies, et en nous-mêmes, dans notre cœur.
Nous sommes dans le « déjà et le pas encore » du Royaume de Dieu. C’est une réalité qui est à la fois présente et avenir, en vertu de quoi Jésus a dit : « Je ne te prie pas de les ôter du monde mais de les préserver du mal (ou du malin). » (Jean 17,15)
L’Evangile ne nous invite pas à fuir le monde dans un ailleurs spirituel, désincarné, idéalisé, mais bien plutôt à être des témoins, ici et maintenant, du Royaume qui vient et qui est déjà là, et ce, dans tous les domaines de la vie des hommes (Matthieu 28,18ss).
Il n’est donc pas exclu pour le chrétien d’exercer le métier des armes. Et c’est d’ailleurs pour cette raison-là que l’Eglise a institué au Moyen Age, la chevalerie chrétienne. Pour autant, il y a quelques principes à respecter, et c’est là que notre texte nous intéresse.
1)Premier principe : « Ne faites violence ni tort à personne » ! dit Jean Baptiste aux soldats venus pour l’interroger.
Voilà qui peut paraître étonnant. Est-il seulement possible d’exercer le métier de soldat sans faire violence ni porter tort à personne ? Il faut croire que oui ! Dans l’idéal. Et quand bien même la réalité nous prouve -hélas- trop souvent le contraire.
C’est un idéal auquel il faut tendre, et ce, afin d’éviter la violence meurtrière et gratuite, qui préside tant de conflits dans le monde, depuis le meurtre d’Abel jusqu’aux guerres injustes dont souffrent tant de nos contemporains. Le fait qu’il y aient des guerres injustes ne doit pas nous faire oublier que la vocation première du soldat, dans la perspective chrétienne, s’inscrit dans le cadre de la légitime défense et du maintien de la paix, comme on peut le lire notamment dans l’Epître de l’apôtre Paul aux Romains, chapitre 13, à propos du Magistrat : « Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains ; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. » (Rom 13, 4).
Il y a là quelque chose d’essentiel que l’on retrouve dans la théorie de la guerre juste – avec les notions qui appartiennent au droit des conflits armés du « Jus ad bellum » (le droit de faire la guerre) et « jus in bello » (le droit dans la guerre) – développée par saint Augustin et saint Thomas d’Aquin et reprise par les Réformateurs et Calvin en particulier. (…)
Une nation vraiment civilisée, une armée civilisée se doit de respecter et de faire respecter, autant que faire se peut, les valeurs, les principes éthiques que l’on retrouve dans les conventions internationales de la guerre, les conventions dites de Genève qui définissent précisément l’usage légitime de la force armée, usage non coercitif, et en vue du maintien ou du rétablissement de la paix.
« Ne faites violence à personne » ! Autrement dit, ayez un comportement qui relève d’un emploi juste et proportionné de la force, que cela soit sur le plan individuel – la maîtrise de soi – ou bien dans l’usage des armes, afin de vaincre la violence – car c’est bien là le but – et non d’en rajouter, de rajouter de la violence à de la violence.
2)Deuxième principe, rapporté par Jean -Baptiste s’adressant aux soldats : « Contentez-vous de votre solde » . Cela veut dire quoi ? Cela signifie qu’il ne faut pas davantage, dans l’idéal, choisir le métier de soldat, pour l’attrait de la violence, l’attrait du pouvoir ou de la force, l’attrait des armes, que pour l’attrait de l’argent et des biens matériels.
Un soldat, selon la perspective chrétienne, n’est pas plus un « va-t-en-guerre » dont le moteur premier de l’action est l’attrait des armes et de la violence, qu’un « mercenaire » dont l’unique motivation est l’argent ou la gloire de ce monde.
Se contenter de sa solde c’est une manière de remettre les choses à leur juste place, comme le dit Jésus dans le Sermon sur la montagne : « La vie vaut plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement », et : « On ne peut pas servir Dieu et Mammon », c’est-à-dire le dieu-argent (Matthieu 5 à 7).
Plus exactement, l’Evangile nous exhorte à ne pas vivre sous la pression de l’argent et des biens matériels – encore qu’il ne s’agit pas non plus de ne pas s’en préoccuper du tout !
L’important, c’est d’exercer le métier de soldat en ayant une motivation noble, vraie et profonde, à savoir l’amour de la paix, toujours à préserver, à reconstruire, la protection des faibles, l’amour de son pays aussi, car un soldat se doit d’être patriote.
C’est l’aspiration à la justice et à l’amour du prochain, à la protection des faibles, qui doit être première chez le militaire chrétien, comme en témoigne, du reste, le code du soldat qui reflète, à bien des égards, le code antique de la chevalerie (celle des 11ème et 12ème siècles selon Léon Gautier), la chevalerie médiévale chrétienne. En voici quelques extraits :
⎫ « Tu auras le respect de toutes les faiblesses et tu t’en constitueras le défenseur » ;
⎫ « Tu aimeras le pays où tu es né » ;
⎫ « Tu ne reculeras pas devant l’ennemi » ;
⎫ « Tu ne mentiras point et seras fidèle à la parole donnée » ;
⎫ « Tu seras libéral et feras largesse à tous » ;
⎫ Et enfin le 10ème commandement, qui résume tous les autres en un sens : « Tu seras partout et toujours le champion du droit et du bien contre l’injustice et le mal. »
En conclusion , nous sommes tous appelés, là où nous sommes, à être des soldats de la paix, des sentinelles de la paix.
L’histoire de l’humanité comme aussi l’histoire de nos vies révèlent que partout où il y a des hommes il y a des conflits, que le conflit est, en un sens, inévitable, car il fait partie de notre condition humaine depuis la Chute.
Caïn dit : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Et Caïn tue son frère Abel !
Le Christ est venu afin d’inverser cette logique cruelle de la loi du plus fort, du meurtre du frère, par orgueil, par jalousie, par vanité. A la Croix il s’est écrié : « Père pardonne -leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
La Paix consiste à s’en remettre à Dieu et à lui donner les rênes de notre vie et de la vie du monde afin qu’il apporte la guérison, la consolation, la rédemption en un mot partout où règne le mal, la souffrance et la mort. Telle est la bonne nouvelle de l’Evangile dont nous sommes, dont vous êtes les vivants témoins.
Pasteur Vincent BRU, aumônier militaire de la BDD Nîmes Laudun Larzac.
Extraits de sa prédication donnée à l’occasion du culte des aûmoneries au temple de l’Oratoire à Nîmes, le 27/01/2019. Textes bibliques lus : Esaïe 2, 1-4 ; Luc 3, 14 et Romains 14, 12-17