Le sel de la terre, c’est vous !

 » Vous êtes le sel de la terre… « dit Jésus à ses disciples.
Ce passage conclut le célèbre sermon sur la montagne que Jésus prononce pour désigner le chemin de Vie avec Dieu à ceux qui veulent le suivre. Ce n’est pas un slogan prononcé sous le feu des projecteurs d’une méga-campagne d’évangélisation. Non, Jésus s’adresse  à sa petite équipe de disciples qu’il a emmenés à l’écart, en haut d’une colline, car une foule très nombreuse se presse autour de lui et le compresse comme dans les mailles de ses filets, de sorte que Jésus et ses amis ( nous est-il rapporté un peu plus loin )  n’ont même pas le temps de manger (!). Ambiance de confiance et confidence, Jésus va parler à ce petit groupe de Galiléens qui ont fait le choix de le suivre.Comme vous, conseillers presbytéraux. Comme vous, musiciens de Mélo-Nîmes. Comme vous, Ana et Edouard, avec votre petite Esther.Comme vous, membres de l’Eglise de Nîmes, venus ce matin pour ce culte de rentrée.Et si ces premiers disciples de Jésus ont décidé de le suivre, ce n’est pas parce qu’il leur offrirait la belle vie, ce n’est pas parce qu’il y aurait là un «beau projet de développement personnel pour une meilleure réalisation de soi» comme on nous le propose aujourd’hui au supermarché des religions, rayon  »Esotérisme’.  Non, s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont été remués en profondeur par une parole, c’est parce qu’un appel irrésistible les a touchés en plein cœur. La question pourrait nous être également posée à chacun ce matin : « pourquoi suis-je là ? Qu’est ce que je suis venu faire ici ?

Vous êtes le sel de la terre.. dit Jésus.
Entendez le ton : ce n’est pas conjugué à l’impératif :  »soyez le sel’. Ni au futur : « vous Serez appelés un jour à devenir le sel. » Non ! Ce n’est ni un ordre ni une promesse, mais la vérité de ce qu’ils sont, au présent de l’indicatif : le sel, c’est vous.

Présent dans nos salières, le sel l’est aussi de multiples manières dans notre vie quotidienne sans qu’on n’y prête forcément toujours attention.

D’abord, en cuisine, c’est un exhausteur de goût. Sans sel – ceux qui sont au régime le savent – la nourriture n’a plus la même saveur, elle semble terne et fade. Pendant l’Antiquité et jusqu’à la révolution,le sel a servi d’échange et de monnaie.Les gens du désert continuent cette pratique. C’est aussi du mot « sel » que provient le mot salaire : c’était la quantité de sel que l’on donnait aux soldats. Autre fonction, fort ancienne : le sel désinfecte les plaies. C’est aussi un excellent conservateur qui permet aux aliments de ne pas pourrir. Enfin, dans la culture biblique, le sel exprimait l’indissolubilité d’un pacte d’amitié.

Le sel est donc infiniment précieux. Comme chacun de vous (ici présents). De cet éventail de qualités, je retiendrai surtout celle de l’exhausteur de goût. Sa définition est éclairante : ingrédient alimentaire utilisé pour rehausser et intensifier la saveurs des plats.

Alors, interrogeons -nous,  non pas  »comment avoir du gout » mais : qu’est-ce qui, dans notre vie de foi et d’Eglise, nous en donne ?Qu’est ce qui rehausse et intensifie notre désir de servir,notre joie de chanter, jouer, prier et bâtir des projets ensemble ? Qu’est ce qui renforce notre énergie à chercher des bénévoles, à animer la jeunesse, à trouver des financements pour la vie de notre Eglise ? A chacun de répondre.

Le sel de la terre, c’est vous, dit Jésus. Notre réflexe protestant d’auto-dépréciation pourrait nous amener à dire : «mon Dieu, je ne suis pas une lumière, je n’ai pas beaucoup de saveur non plus, je ne suis pas à la hauteur’, va chercher quelqu’un d’autre s’il te plait ».

Rassurez-vous, quand Jésus utilise l’image du sel, il n’est pas en train de leur dire « vous êtes formidables », il leur dit : vous êtes ce sel,  c’est-à-dire précieux. Et ce qui a du prix ne doit pas rester confiné dans l’armoire de notre identité protestante, ce qui a du prix doit être donné, car tout ce qui gardé est perdu.

Bon, si vous n’êtes toujours pas convaincus, et craignez de tomber dans le terrible péché de l’orgueil, sachez qu’ à l’époque de Jésus, le sel ne ressemblait pas au nôtre, il n’était pas raffiné, propre de toute impureté : il était mélangé  avec d’autres éléments. Le sel se présentait sous la forme de cailloux poreux et dans les petites cavités se trouvaient des cristaux de sel.On ramassait ces cailloux et on les mettait dans la marmite avec ce qui y bouillait. Le sel était là, sur le sol, un peu partout, à disposition.  

Alors oui, le chrétien est sel, mais avec  son côté caillouteux, rugueux, autrement dit : avec ses limites, ses craintes, son manque de courage parfois. Ainsi, plutôt que sel  nous sommes le caillou qui contient le sel ! Du même coup, en qualifiant ses disciples de sel de la terre, Jésus leur recommande l’humilité. Ceci d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’imposer tellement de sel dans tous les plats que le goût des aliments disparaisse ! Il s’agit, pour le Christ, d’être le sel disponible sur la table dont chacun peut se servir, et non pas d’être sel en excédent immangeable. Question de dosage. Certains mettent trop de sel au risque de dégoûter les autres au lieu de leur donner le goût de vivre. D’autres, à l’inverse, n’en mettront peut-être pas assez, témoignant de leur foi du bout des lèvres, manquant d’audace  -cette audace que le Christ leur a pourtant recommandée ! – Mais alors, me direz-vous, quel est le bon « dosage » ? C’est peut -être de toujours nous rappeler que nous sommes nous-mêmes le produit d’un mélange : oui, nous sommes -par définition – un mélange de cristaux et de rugosité.
A
chacun de nous le Christ dit : ne te désole pas si parfois, tu sens des petits cailloux,des impuretés dans le sel; ne t’inquiète pas des faiblesses de la flamme vacillante. L’important, c’est de donner toujours ce que tu as, et surtout : ce que tu es, autrement dit : la saveur de la vie et la lumière qui éclaire le chemin de l’autre.

Deux remarques pour conclure  afin de ne pas saturer vos oreilles :
1)Jésus a dit : non pas vous êtes le sel de l’Eglise mais de la terre. Alors,ne perdons jamais de vue que le centre de gravité c’est le monde.
2)Nous ne sommes pas les seuls porteurs de sel et de lumière. Nous le sommes dans la diversité des expressions et des confessions de foi autour du Christ ! On ne s’exclut pas, on s’ajoute : non pas pour enfermer tout le sel dans un même sac, ni pour mettre toute la lumière sous un même chapeau, mais pour être ensemble, au milieu des autres et pour  les autres un certain gout de vivre, un certain éclairage projeté sur le monde, un certain visage de l’Evangile, qui donnent envie de continuer, et de parier encore sur l’espérance de Dieu pour nous et pour le monde.

Amen

Titia Es-Sbanti

Prédication à l’occasion du culte d’installation du nouvel conseil presbytéral de l’Eglise Protestante unie de Nîmes, le 29/09/2024.