Au surlendemain de la mort de Jésus, quelques femmes sont allées à son tombeau. En arrivant, elles découvrent que le tombeau est vide. Vertige. Sidération. Deux messagers leur annoncent que Jésus est vivant, relevé d’entre les morts, et qu’il est désormais dans la vie. Il leur faut repartir sur le champ et tourner le dos au cimetière ! Bouleversées, elles s’en vont pour raconter tout cela aux apôtres. Mais ceux-ci ne croient pas ce qu’elles leur disent. S’ensuit le texte que nous allons entendre, et qui nous est proposé comme lecture biblique de ce dimanche. Je vous propose de découvrir ce récit comme on suit un chemin.
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Etape 1 : Luc 24, v. 13 à 17
Ce même jour, deux disciples se rendaient à un village appelé Emmaüs, à environ deux heures de marche de Jérusalem. Ils parlaient de tout ce qui s’était passé. Pendant qu’ils parlaient et discutaient, Jésus lui-même s’approcha et fit route avec eux. Ils le voyaient, mais quelque chose les empêchait de le reconnaître. Jésus leur demanda : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Ils s’arrêtèrent, l’air sombre.
Le matin du Jour de Pâques bat tous les records d’incrédulité : En effet, ce jour-là, des femmes revenues du tombeau vide ont raconté aux apôtres que Jésus était vivant. Cela n’a pas suffi : les apôtres ont dit de ces femmes qu’elles racontaient (je cite) : des niaiseries. Certains disciples ont voulu aller vérifier eux-mêmes ce que les femmes ont dit. Ça n’a pas suffi : car ce qu’ils voulaient c’est voir, et finalement…ils n’ont rien vu. Ce même jour, le Ressuscité a marché une dizaine de km avec les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Cela n’a pas suffi…. car ils ne l’ont pas reconnu pendant ce trajet. Enfin, pendant ces quelques deux heures de marche, le Christ leur fait un catéchisme accéléré, une étude biblique exceptionnelle de Moïse jusqu’aux Prophètes. …Cela n’a pas suffi : même les Ecritures expliquées par Jésus lui-même n’ont pas pu ouvrir les yeux des deux disciples ! Ils ont seulement dit : il se fait tard, et si on s’arrêtait à l’auberge ?
Et oui, rien de tout ça n’a suffi pour croire. Ils avaient pourtant un avantage sur nous, ces deux-là : ils avaient vécu avec Jésus, marché à ses côtés, partagé le pain de l’amitié, écouté son enseignement ! Ils étaient les plus proches prochains, les témoins par excellence de son message, de sa vie ! Mais… cela n’a pas suffi. Et nous ? Ces événements-là nous auraient-ils suffi pour croire que Jésus-Christ est Vivant dans l’aujourd’hui de nos vies ? Ce n’est pas sûr…
La vie c’est comme un chemin. Cette image n’est pas seulement biblique mais universelle. Les psaumes utilisent un joli terme, ils disent : marcher sa vie. Cependant, »marcher sa vie », ce n’est pas toujours facile. Le pas n’est pas toujours léger. On ne marche pas toujours dans la clarté, même celle d’un matin de Pâques. Il arrive aussi qu’on marche à la nuit tombée, quand on ne voit plus rien. Il arrive qu’on soit obligé de marcher alors qu’on est lassé et que la peine est au rendez-vous . Mais quand on regarde le chemin parcouru, il est bon de s’interroger. Qu’est ce qui, ce jour-là, m’a fait marcher dans la joie , et cette autre fois dans la tristesse ? Qu’est ce qui m’a déçu cette année-là alors que j’avançais avec enthousiasme ? C’est sûr, marcher sa vie, ça ne va pas de soi. Doutes, ruptures, malentendus, deuils jalonnent le chemin, à tout âge.
Les deux disciples sur la route d’Emmaüs portent une très lourde peine, une déception immense, pleine de questions sans réponse. Les cailloux et les obstacles ne sont pas sur le chemin mais dans leur cœur et dans leur tête. Ils portent tout cela avec eux, en eux, et ça alourdit leur marche, comme si la pierre c’était eux. Ce n’est pas une simple marche sur la route : c’est une vraie déroute, comme une retraite où l’on ressasse ce qui aurait pu se passer ou ce qui aurait dû se passer et qui ne s’est pas passé. Mais voici qu’en chemin, quelqu’un rejoint les deux hommes et fait route avec eux. Et ça change tout ! Ça change la vie d’être accompagné, de marcher quand quelqu’un nous rejoint là où nous sommes, là où nous en sommes. Même et surtout quand on a le coeur lourd.De même, quand on franchit la porte de l’Association Protestante d’Assistance au 19 rue Bigot, qu’on monte les quelques marches et qu’on arrive dans le hall, accueilli par des sourires, des fleurs et l’odeur du café, ça change tout !
Etape 2 : Luc 24, v. 18-23
L’un des deux disciples, nommé Cléopas, dit à Jésus qu’il ne reconnaît pas : «Tous les habitants de Jérusalem savent ce qui est arrivé ces jours -ci ! Es tu le seul à ne pas savoir ce qui s’est passé ? –Quoi donc ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en actes et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré à la peine de mort et l’ont crucifié. Nous espérions que c’est lui qui délivrerait Israël, mais avec tout cela, c’est aujourd’hui le 3ème jour depuis que ces événements se sont produits..Il est vrai que quelques femmes de notre groupe nous ont stupéfiés ; elles se sont rendues de grand matin au tombeau et n’ont pas trouvé son corps. Elles sont venues dire que des messagers leur sont apparus qui le disaient vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses tout comme les femmes l’avaient dit. Mais lui, ils ne l’ont pas vu.
Puisque quelqu’un s’est joint à eux, les deux marcheurs lui racontent ce qui s’est passé et pourquoi ils sont accablés. Ça fait du bien de parler, de vider son sac quand on est mal. Le problème c’est que parfois le chagrin occupe tellement de place dans notre coeur qu’on ne parvient pas à s’intéresser à autre chose qu’à soi (même) ..
Sans avoir pourquoi, les disciples se confient à l’inconnu qui marche à leurs côtés. Incompréhension, émotions, douleur, déception..Ce Jésus de Nazareth, les disciples ont cru si fort qu’il serait le Roi de Judée, le Chef des Armées, l’Envoyé de l’Eternel. Mais voilà qu’il est mort, et de la pire des manières : cloué sur une potence comme un criminel ! Il ne pouvait pas être le Messie du Dieu tout puissant Béni soit-il car Celui-ci n’aurait jamais laissé crucifier son Envoyé…
Les amis de Jésus se sont trompés alors même qu’ils avaient tout misé sur lui. Dans ces moments-là, l’amertume prend le dessus et pèse de tout son poids. C’est pareil quand on est déçu par un ami, ou quand un projet échoue, quand un demandeur d’asile qu’on avait soutenu pendant des mois est reconduit à la frontière…
Oui, combien de déceptions dans nos vies personnelles, familiales, associatives, dans l’Eglise, dans l’entreprise où l’on travaille.. Et finalement on se retrouve avec…rien.
Et on ne rebondit pas forcément comme dans les films ou les romans. On n’est toujours très fort, on se retrouve même parfois avec l’espérance en miettes. Alors, il n’y a plus qu’à partir…pour Emmaüs ! En effet, tout le monde peut y aller, savez- vous pourquoi ? Parce qu’en fait, Emmaüs, on ne sait pas très où ça se trouve sur la carte. Il se pourrait même qu’Emmaüs n’existe pas du tout. Emmaüs c’est peut-être nulle part. La route d’Emmaüs, c’est la route que l’on prend quand on ne peut plus rester là où l’on était, parce qu’on a été déçu mais qu’en même temps on ne sait pas où l’on va et qu’on n’a envie d’aller nulle part, mais bon, on y va quand-même…. vers ce nulle part !
Certes, il y a des femmes qui ont dit qu’elles ont vu le Christ vivant, qui racontent qu’il y a une suite, que le tombeau n’est pas la fin de l’histoire. Mais nos deux marcheurs n’ont rien vu, alors c’est difficile de croire les »on dit que » . On veut voir de ses propres yeux ! Et quand on s’est persuadé que tout est fini, c’est compliqué d’entendre qu’il peut quand même y avoir une suite. Heureusement que lorsque l’être humain ne croit pas, cela n’arrête pas Dieu !
Etape 3 : Luc 24, v. 25- 27
Alors Jésus leur dit : Insensés ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Le Christ ne devait-il pas souffrir de la sorte pour entrer dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur expliqua tout ce qui, dans les Ecritures, le concernait. »
Jésus ne mâche pas ses mots : vous ne comprenez rien, dit-il aux disciples. La plupart des textes ont traduit la parole de Jésus par « insensés ». En fait, le mot en grec c’est »stupides ». Dans la bouche de Jésus, ça pouvait sembler choquant, mais »stupide » signifie littéralement être »frappé de stupeur »: Ne plus pouvoir bouger, être bloqué sur place. De même, les deux disciples marchent sur la route mais n’avancent pas : ce n’est pas étonnant puisqu’ils vont à Emmaüs, c’est-à-dire… nulle part ! Ils sont enfermés, figés dans leur tristesse et déception, à tel point qu’ ils ne montrent pas le moindre intérêt pour savoir qui est l’inconnu qui vient vers eux : les gens malheureux n’aiment pas être détournés de leur malheur.. Mais le Ressuscité qu’ils ne reconnaissent toujours pas les entraine vers un autre chemin : celui des Ecritures, et il se fait le catéchète des deux disciples, le temps de quelques heures de marche. Il va éclairer le sens de sa mission et, du même coup, le sens de leur vie toute entière.
Etape 4 : Luc 24, v. 28 -32
Lorsqu’ils approchèrent du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, et déjà le jour décline. Il entra, pour demeurer avec eux. Une fois installé à table avec eux, il prit le pain et prononça la bénédiction ; puis il le rompit et le leur donna.Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ;mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l’un à l’autre : Notre cœur ne brûlait-il pas en nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures ?
Ainsi, les disciples d’Emmaüs ont trouvé le Christ alors qu’il ne le cherchaient pas (plus). Le Dieu d’Emmaüs se révèle après coup, à la nuit tombée plutôt qu’en plein jour, quand la lumière baisse et non sous les feux des projecteurs, quand on ne s’y attendait pas. Emmaüs n’est pas tant un lieu qu’un moment de grâce dans l’ éblouissante simplicité d’un geste qui fait signe : le pain rompu. Ainsi, Il faudra se mettre à table pour se remettre à croire. Et au cours de ce repas, les deux disciples feront l’expérience de leur propre résurrection : De »stupides » qu’ils étaient, bloqués dans la déception, ils reviennent à la vie, le coeur brûlant. Oui c’était bien lui, le Christ ressuscité, le Christ vivant qui indique le chemin et la vie devant Dieu. N’est -ce pas aussi le message de Pâques qui inspire si profondément l’action de l’APA ? Le Christ est présent quand son Evangile est partagé comme le pain de vie qui restaure le corps et le cœur lorsqu’on ne sait plus où l’on va.
Emmaüs, tout comme la foi, ce n’est pas une adresse mais un chemin. Cela peut être n’importe où. N’importe quand. Le petit supplément, dans ce récit, c’est que non seulement le Ressuscité est présent parmi nous mais il fait le choix de rester. Ainsi, au delà de l’annonce »Le Seigneur est avec vous » , il y a cette promesse qui murmure : »Je reste avec toi ».
Finalement c’est Lui le pèlerin de Dieu, Lui qui ne cesse de marcher et de s’approcher de nous, et qui décide de rester avec nous. Aujourd’hui, demain et pour toujours.
Amen
Titia Es-Sbanti
Culte avec l’ Association Protestante d’Assistance (APA)
Dimanche 23 avril 2023
Nîmes, temple de l’Oratoire
Texte biblique : Luc 24,13-35