Qui nous roulera la pierre ?

Pâques… Pas que les œufs. Pas que les clochettes. Pas que les lapins en chocolat. Pas que les longs week-ends. Derrière les montagnes de chocolats et défilés de friandises, il y a une célébration, un événement majeur, colonne vertébrale pour plus de deux milliards de chrétiens : une fête qui nous met en connection avec un mot-clé : Résurrection. Sauf que c’est un de ces ‘gros mots’ de la foi ! Un mot qu’on entend à Pâques (mais pas que). Un mot  dont on a perdu la clé nous permettant de l’ouvrir et de le déplier…

En tous cas, aucune explication rationnelle et scientifique ne tient la route à propos de ce récit.Quand on veut expliquer l’inexplicable, les mots nous lâchent. ‘Résurrection’ : quel mot étrange ! Un mot fabriqué de toutes pièces pour traduire un verbe qui -dans le grec des Evangiles – signifie se relever ou se réveiller. Ah, mais on comprend déjà mieux : Jésus-Christ s’est réveillé. C’est du français courant. Sauf que le verbe prête à confusion. S’il s’est réveillé, était-ce parce qu’il dormait ?  Non, sûrement pas : il est passé par la mort, crucifié sur le bois. Vous voyez, même quand on croit avoir la clé , on ne l’a plus !

Peut-être que la première chose à dire c’est qu’on ne peut rien dire de la Résurrection ! D’ailleurs, aucun des évangélistes ne s’est risqué à tenter quelque description que ce soit. La Résurrection est, dans le récit biblique, un espace blanc. En effet, on n’a affaire ni à un reportage ni à un documentaire.Personne n’a jamais vu Jésus ‘en train de ressusciter’.Pas de caméra cachée, aucun témoin.Le tombeau est vide : ‘circulez, y’a rien à voir’.
Comme c’est frustrant ! Vous avez envie, vous, de croire en ce ‘rien’ ? Pour nos yeux habitués à voir, Pâques, c’est vraiment …opaque. On lui préfère largement Noël : là au moins, il y a des choses à regarder, à contempler : un bébé, un couple, des animaux, des bergers, des mages, une étoile. Oui, c’est sûr : entre un berceau et un tombeau, on a vite choisi !
Cela dit, s’il n’ y a rien à voir à Pâques, est -ce que pour autant, il n’y aurait rien à dire ? Voyons…quand l’histoire d’un tombeau vide a un impact aussi puissant et sans interruption depuis 2000 ans, c’est qu’il y a quelque chose plutôt que rien, non ? Et c’est que ce ‘rien’ est donc riche de quelque chose…
Bien-sûr, personne ne sait ce qui s’est ‘vraiment ‘passé, et aucun des évangélistes n’a pu décrire la résurrection- mais ce que tous  nous rapportent, ce sont les effets de celle -ci sur les premiers bénéficiaires. Et le moins qu’on puisse dire c’est que ce ne sont pas des ‘effets secondaires’, sinon, on n’en aurait plus reparlé depuis longtemps !

Qui sont -ils, ces premiers bénéficiaires ? Trois femmes, nous rapporte l’évangéliste Marc : Myriam de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé. Ce sont des amies de Jésus, des femmes-disciples. Elles étaient déjà là la veille, samedi, et l’avant veille aussi : vendredi, au moment terrible de la crucifixion de Jésus. Présentes et impuissantes face à l’abomination, elles se tiennent alors non loin de la croix, muettes de chagrin. Elles sont encore là quand les autres sont partis. Partis ? Et oui, pardi !
Bon d’accord,  il y a
Judas et Pierre. C’est facile à retenir : ils ont laissé tombé Jésus de façon spectaculaire. Mais il y a les tous les autres . Dix apôtres ! A l’arrestation de Jésus la nuit de jeudi à vendredi, quand les soldats s’emparent de lui : « tous les disciples l’abandonnèrent et prirent la fuite « (Marc 15, 50) .

Jésus est lâché de tous. Même ses plus proches prochains, les apôtres, prennent la poudre d’escampette. Sauf quelques amies de Jésus. Silencieuses (la parole des femmes n’avait aucune valeur en ce temps-là), elles savent qu’il n’y a rien à faire mais elles sont là quand -même, désespérément fidèles. Témoins de la crucifixion de leur Maitre et de l’horreur sans nom.

On est vendredi. Après la mort de Jésus, un ami, Joseph d’Arimathée, se dépêchera de le descendre de la croix et de le déposer dans un tombeau,avant le couvre-feu du Sabbat, temps de repos obligatoire chez les Juifs et qui interdit tout travail, tout effort ou activité. Ainsi, tout le samedi, les trois amies de Jésus restent chez elles, confinées…

Dès le soleil couché et le Sabbat terminé, elles se préparent à sortir pour aller au tombeau. C’est Dimanche, très tôt, et les voilà déjà sur la route : elles n’ont pas peur de sortir dehors seules après tous ces événements, ces crucifixions.Elles sont habituées à accompagner les naissances et les deuils. Ce sont elles qui recueillent les premiers et les derniers souffles, elles ont appris l’art de laver, langer ou embaumer, alors ce n’est pas la mort de Jésus qui va les empêcher d’être toujours là pour lui. Elles gardent en lui une foi pleine, entière, fidèles à celui qui demeure à jamais leur Messie, leur Christ -même dans la tombe – Et ce dimanche -là, au petit matin, elles veulent  embaumer  le corps de Jésus d’une huile parfumée. C’est comme un dernier hommage, une reconnaissance. Un dernier geste d’amour à celui qu’elles ont aimé et qui a bouleversé leur vie.

Alors, Pâques, c’est quoi ? Une histoire de (bonnes) femmes, de pierre, de fous…ou plutôt de « folles »  car c’est comme ça qu’elles seront traitées au début par leurs confrères disciples qui  refuseront de croire ce qu’elles leur raconteront après avoir quitté le tombeau.
En attendant, ces femmes sont en route, le cœur lourd. Mais en même temps, voici qu’en chemin, des questions très matérielles et concrètes surgissent : qui nous roulera la  pierre ? Quand on est dans le chagrin, se préoccuper de choses concrètes nous permet de rester debout, de détourner la pesanteur de notre peine. Ne serait-ce que quelques instants. «Quand tout va mal, il faut se laisser déranger par l’ordinaire, par la banalité des petites choses » disait quelqu’un. Alors, bien que dévastées par la mort de leur maître, les trois amies s’activent; elles ont les mains remplies d’aromates. Servir à quelque chose, c’est éviter le vide, le non-retour. Il faut essayer de survivre au traumatisme, à la perte, à la séparation.

Qui nous roulera le pierre ?
Cependant, ce n’est pas qu’une question pratique. Et ce n’est pas seulement la question des femmes du Dimanche de Pâques. C’est celle de tous les humains qui retentit à travers les siècles, jusqu’à aujourd’hui. Une question qui rejoint les inquiétudes et les angoisses de chacun d’entre nous :
Qui roulera la pierre de mes peurs, pour que je m’ouvre à la confiance ? Qui fera sauter les verrous de nos peines, et des drames qui nous enchainent ? Qui percera le béton de nos pessimismes ? Qui ôtera le poids de nos tristesses, le fardeau des habitudes ? Qui soulèvera le lourd couvercle du fatalisme ? Qui ôtera de notre vie les obstacles qui nous empêchent d’être heureux ?
Oui, combien d’hommes et de femmes sont aux prises avec ces questions, et se trouvent face des portes fermées, face à des pierres impossibles à rouler ? Parmi elles, une pour tant de gens depuis plus d’un an : qui nous roulera la pierre de la solitude ? Un écrivain disait ceci :  » Il n’ y a pas de plus grand malheur sur cette terre que de n’y trouver personne à qui parler, et nos bavardages, loin de remédier à ce silence, ne font la plupart du temps que l’alourdir. » (1) Je me rappellerai toujours la parole de cette dame âgée dans un square de Nantes : un jour où je me posais au soleil sur un banc, elle s’approcha, s’assit à côté de moi et commença à me raconter sa vie, puis elle me dit : «pardonnez -moi de vous raconter tout ça mais ça fait si longtemps que je n’ai parlé à personne ».

Qui nous roulera la pierre ? La question des femmes du jour de Pâques est la nôtre. Mais ce n’est pas fini. En route vers le tombeau de Jésus, elles vont assister, sans s’y attendre, à un bouleversement total  : la pierre a déjà été roulée ! Le tombeau est vide. Elles vont vivre  le sens premier du mot Pâques, Pessar en hébreu, qui signifie  ‘passage’. Passage de la mort à la vie, de l’obscurité à la lumière, de la fatalité à l’espérance !

Premières réactions : des cris de joie ? Des cantiques, des ‘alleluia’ ? Non ! Stupeur, sidération, vertige. Les femmes sont comme pétrifiées, elles restent là, mains ballantes avec leurs huiles désormais inutiles. Elles étaient parties pour enterrer leur espérance,  ‘soumises’ à l’idée que tout était fini, et pour toujours, et voilà que la mort n’a plus le dernier mot ! Elles avaient rendez-vous avec le silence, et voilà qu’une parole leur est adressée : celui que vous cherchez n’est pas ici, il vous précède en Galilée…. Autrement dit : dans le monde, dans la Galilée du quotidien, de la vie ordinaire. Les femmes-disciples ont  rendez-vous avec la Vie !  ‘Faites demi-tour’, leur dit en quelque sorte le messager.

Le dimanche de Pâques nous invite à désobéir à la fatalité; c’est un pied de nez à la mort. Suivez le panneau «déviation » direction VIE. Circulez, y’a rien à voir mais tout à entendre ».

Pâques  n’est pas une idée abstraite, c’est une mise en mouvement, une dynamique, une invitation urgente à sortir de nos tombeaux dans lesquels nous nous enfermons trop souvent.  La pierre a été roulée : Jésus le Crucifié n’est pas au cimetière, il est vivant. Il n’est pas à vos pieds, il vous attend en Galilée.

Alors : A toi  la gloire ? Alléluia ? Plus de souffrance, plus de larmes, plus d’injustice ? Tous les problèmes sont résolus alors ? Il n’en est rien ! On dirait même que rien a changé… Sauf que si, tout de même, et c’est un détail du récit qui peut nous éclairer : la pierre qui fermait le tombeau n’a pas disparu par l’opération du St Esprit ! Elle a été déplacée, mise de côté. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Que la pierre de ce qui nous pèse et nous éprouve n’est plus au centre de notre vie à nous boucher l’horizon. Elle n’est plus à l’entrée du tombeau, elle a été écartée, roulée. La souffrance continue d’exister, mais elle n’a plus aucun pouvoir sur nous car Quelqu’un a roulé pour nous cette pierre afin de laisser passer la Vie. A Pâques, le Dieu de Jésus-Christ n’efface pas la souffrance mais il la traverse.

Alors, lorsque nous lui demandons de nous épargner l’obscurité, l’épreuve, les difficultés, il vient nous murmurer à l’oreille : donne moi ta main, et je te conduirai dans l’obscurité.
Amen

Titia Es-Sbanti

Prédication de Pâques, paroisse du Mas des abeilles -St Césaire  2021

texte biblique : Marc 16, 1-8

1Quand le sabbat fut passé, Myriam de Magdala, Marie, mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates pour aller embaumer Jésus. 2.Le dimanche matin, très tôt, au lever du soleil , elles se rendirent à la tombe. 3Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de l’entrée du tombeau ? » 4Et, levant les yeux, elles virent que la pierre est roulée ; or, elle était très grande. 5Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur. 6Mais il leur dit : « Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : il est ressuscité, il n’est pas ici ; voyez l’endroit où on l’avait déposé. 7Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.” 8Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.